Bien exploité, un restaurant peut dégager une rentabilité nette de près de 20%.
Une salle de 150 m2 et de 50 places assises nécessite un investissement de plus de 7 MDH.
Concept, atouts marketing, investissement, gestion du fonctionnement… L’essentiel à prévoir.
Prenez des consommateurs marocains de plus en plus portés sur le divertissement et les sorties conviviales et qui ne lésinent pas sur le budget à y consacrer. Rajoutez une inclination toute nationale pour les plats bien mijotés. Saupoudrez le tout de gains en pouvoir d’achat qui progressent à vue d’œil pour certaines catégories socioprofessionnelles… Le résultat ? Un marché de la restauration qui ne s’est jamais aussi bien porté.
Ce qui n’est pas pour déplaire à ceux qui y ont investi. «Les stratégies publiques pour faire du Maroc une terre d’accueil touristique et d’affaires dope notre secteur», se réjouit André Harlbert, propriétaire du restaurant «A Ma Bretagne» à Casablanca. Et «ce ne sont pas les créneaux porteurs qui manquent», renchérit Rafik Slimani, propriétaire associé de la franchise de restauration japonaise Matsuri.
L’effervescence des affaires de ces deux restaurateurs, loin d’être une exception, révèle bien la bonne santé du secteur. Du côté de «A Ma Bretagne», on vient de mettre en place un concept «bistro» (traduisez des plats moins sophistiqués pour des prix allégés) tout indiqué pour une clientèle de cadres supérieurs… Une cible de plus en plus attrayante que ne laisserait filer pour rien au monde le très huppé restaurant casablancais.
Les détenteurs de la franchise japonaise Matsuri affirment quant à eux leurs ambitions expansionnistes. Leur plan de développement prévoit l’ouverture de 5 nouveaux établissements à l’horizon 2011, ce qui devrait porter à 8 le nombre d’unités de la chaîne au Maroc. Aucune ville n’y échappe : Casablanca, Marrakech, Tanger, Rabat… Pour cette dernière, «le besoin immédiat est de pas moins de 15 grands restaurants», tranche en bon connaisseur de la clientèle rbatie, Yann Lechartier, propriétaire du restaurant «Le Grand Comptoir».
Pour sûr, à voir les bénéfices qu’alignent les grands restaurants, les investisseurs devraient accourir. En effet -et en respectant toutes les obligations légales-, la rentabilité annuelle peut être substantielle… Jusqu’à 20% en net, comme le démontre le plan d’affaires d’un établissement bien en exercice (voir tableau page II).
Mais les codes à respecter pour marcher sur les pas de ce succès sont très rigoureux : un engagement sans faille, un concept soigné aux petits oignons, et une bonne prise de connaissance de toutes les subtilités pour investir dans un restaurant et l’exploiter.
Goût personnel et analyse de terrain pour cerner un concept de restaurant
Il y a d’abord l’engagement. Tous ceux qui se sont déjà jetés à l’eau l’attestent : la restauration, ça ne s’improvise pas ! Disposer d’un background en la matière a son utilité, mais n’est pas indispensable. «Il n’y a qu’à voir pour cela les tours de force réalisés par des investisseurs novices dans le domaine», justifie M. Lechartier. Pour sûr, que l’on soit initié aux ficelles du métier ou pas, l’objectif à atteindre est unique et il consiste à s’impliquer pour garantir constamment un haut niveau de qualité, seul motif de succès pour un restaurant. Disons-le clairement, un restaurant qui marche est celui dans lequel le propriétaire veille au grain chaque jour et en continu.
Ensuite, il convient de s’attaquer au concept du restaurant à établir.
Partir d’un goût personnel, se baser sur une analyse de terrain, transposer un concept qui a fait ses preuves dans d’autres pays (une spécialité culinaire originale par exemple)… Les pistes à explorer sont nombreuses. Quoi qu’il en soit, le concept du restaurant devra être relayé par un ensemble d’éléments, à savoir une décoration, une ambiance caractéristique… Mais surtout un emplacement. S’agissant de l’approche à adopter vis-à-vis de ce dernier élément, les avis divergent.
Certains préconisent de le déterminer de manière à se rapprocher le plus possible de la clientèle cible. D’autres jugent qu’un bon emplacement est toujours bon à prendre mais qu’à défaut un produit de qualité est suffisant pour pousser la clientèle à se déplacer de loin.
Le plus judicieux serait de prendre en compte dans son schéma de base, et la clientèle de proximité et la clientèle qui serait prête à faire le déplacement en étant motivée par la qualité du produit. En tout cas, certains éléments restent attrayants dans l’absolu. Il s’agit par exemple de la présence d’un parking. Si celui-ci est difficile d’accès, le recours à un voiturier peut régler le problème. Ce service, toujours apprécié, reste néanmoins peu courant (en dehors de Casablanca) et nécessite d’être assimilé par la clientèle. Un emplacement d’angle constitue également un facteur favorable. Une valorisation du voisinage immédiat, successive à des investissements privés ou à l’initiative des autorités est également toujours bonne à prendre.
Reprise de restaurants… Gare aux évaluations farfelues
Une fois le concept du restaurant cerné, il faut penser au financement. A ce titre, la part de financement bancaire à laquelle on peut prétendre peut atteindre 70% de l’investissement global. Un historique favorable, des preuves de compétence en management d’équipe, une expérience réussie dans le secteur comptent comme autant de facteurs facilitateurs pour l’obtention d’un prêt.
Premier poste d’investissement, les murs. Il va de soi que ceux-ci peuvent consister en un local commercial ou en un terrain nu.
S’il s’agit d’un local commercial (dont on n’est pas le propriétaire), il peut être loué ou acquis. Habituellement, la location passe pour plus avantageuse d’autant plus pour un premier investissement. Cependant, un schéma d’acquisition ne manque pas d’attrait. Il peut certes supposer des charges de départ plus lourdes notamment par la nécessité de contracter un emprunt bancaire pour financer l’achat du local, mais il permet également de prendre possession de ce même local, à terme, ce qui peut être davantage sécurisant. L’autre point positif de l’acquisition est qu’elle permet d’avoir comme vis-à-vis «une banque et non un locataire parfois pas très accommodant», témoigne un restaurateur. Un dernier argument plaidant pour l’acquisition, et il s’agit d’une pratique courante qui consiste à verser un «pas de porte» dans le cadre des contrats de location. Consistant en un versement au noir, ce «pas de porte», qui peut être substantiel, ne peut être financé par emprunt bancaire et doit donc être nécessairement couvert par un apport en fonds propres.
Si l’emplacement retenu consiste en un terrain nu, «le principal avantage résidera dans le fait de disposer d’une plus grande liberté pour répondre à toutes les contraintes d’aménagement spécifiques à un restaurant», estime M. Lechartier. Cela se traduit notamment par des locaux techniques mieux pensés et de moindre coût d’installation électrique et gazière.
A noter qu’un troisième scénario d’investissement peut être envisagé : la reprise de restaurant. Cependant, le marché des ventes de restaurants étant peu efficient, opaque et connaissant très peu de transactions, on n’est jamais à l’abri d’une évaluation farfelue.
Le matériel technique est généralement bon marché mais le SAV laisse à désirer
Quel que soit le scénario retenu, le recours à des cabinets d’étude et de consultation est fortement recommandé. Requérir les services d’un architecte, ayant de préférence déjà conçu un restaurant, peut s’avérer incontournable. D’autant plus qu’en matière de démarches administratives et spécifiquement pour la création d’un restaurant, une autorisation d’aménagement de local ne peut être accordée que sur présentation d’un dossier contenant le plan architectural du restaurant à la préfecture dont relève la localité du restaurant. Suite à quoi une demande d’exploitation doit être demandée à Dar Al Khadamat pour l’ouverture et l’entrée en activité de l’établissement.
Naturellement, avant d’en arriver là, il faut équiper le restaurant en mobilier de salle et en matériel technique.
Pour ce qui est du mobilier de salle, une pratique courante consiste à se faire fabriquer des meubles sur mesure. Pas nécessairement plus avantageuse, financièrement parlant, cette démarche permet néanmoins de fixer soi-même le niveau de solidité requis du mobilier, qui peut par là même être plus facilement mis en conformité avec l’ambiance générale de l’établissement.
Pour ce qui est du matériel technique, si le Maroc est «bien desservi par des importateurs de matériel professionnel de cuisines qui pratiquent des prix corrects», selon une majorité de professionnels, c’est au niveau du service après-vente que le bât blesse. Non pas que les revendeurs ne disposent pas des pièces de rechange, mais ces pièces sont facturées à des prix prohibitifs et les interventions ne sont pas satisfaisantes. Aussi est-il préconisé de disposer soi-même d’un technicien sous la main. Cette situation, ajoutée au fait que les appareillages les plus perfectionnés (et les plus chers aussi) permettent sur la durée les économies d’énergie les plus substantielles, fait qu’il ne faut pas lésiner sur l’équipement technique, «surtout les fours et les plaques chauffantes», recommande M. Lechartier. Attention toutefois à ne pas tomber dans le piège du surinvestissement.
Bien plus sérieux est le problème de la main-d’œuvre qualifiée. Les professionnels sont unanimes à rapporter sa rareté. Face à cela un seul recours : la mise à niveau en interne déjà… en attendant un programme de formation élaboré par et pour les professionnels. Quatre établissements de référence sont en effet en train de monter leur propre programme de formation par apprentissage. La première promotion est attendue pour 2011. Dans l’intervalle, il est recommandé de recruter parmi les lauréats de l’Ecole hôtelière de Mohammédia qui se démarquent relativement, selon des professionnels. Bizarrement, cette pénurie de ressources humaines qualifiée ne semble pas toucher les postes de chef cuisinier.
Pour les salaires, compter une rémunération moyenne au smig pour les serveurs, un salaire maximum de 25 000 DH pour un chef cuisinier marocain et jusqu’à 40 000 DH pour un chef étranger.
Une marge de 2,5 fois le prix d’achat hors taxe
S’agissant toujours de l’investissement de démarrage, un poste à déterminer avec le plus grand soin concerne le fonds de roulement de démarrage. Généralement, les professionnels fixent pour cet indicateur une norme de 15 jours de stocks de marchandises.
Tout aussi critique, la première publicité se doit d’être manipulée avec précaution. Les professionnels avertissent de faire affluer trop vite de la clientèle alors que le service n’est pas encore rodé. Naturellement, l’effort de publicité initial se doit d’être relayé par des actions ultérieures. Cela pourrait consister en mailing ou d’autres techniques de marketing direct. Le référencement dans des guides spécialisés (Best Restaurants, Maroc Premium…) est également à envisager.
Le cycle d’investissement bouclé, c’est à une autre paire de manches qu’il faut s’attaquer : l’exploitation.
Tout le challenge est de conserver un niveau de qualité constant sachant que les problèmes au quotidien sont innombrables. «D’une panne matérielle à l’absence de monnaie, une infinité de facteurs peut intervenir pour compliquer le service», relate un propriétaire de restaurant.
Un casse-tête récurrent concerne déjà les horaires. Ouvrir toute la semaine ou prévoir un jour de congé ? Selon que l’établissement ouvre 7j/7 ou pas, il peut être nécessaire d’embaucher des serveurs supplémentaires pour assurer le roulement du service et satisfaire à l’obligation légale d’accorder un jour de congé par semaine de travail.
A cela s’ajoutent les occasions exceptionnelles, tel Ramadan. Certains établissements rattrapent la baisse du chiffre d’affaires inévitable durant ce mois en profitant du prestige de leur image de marque pour facturer au prix fort, sodas, cafés et autres. M. Halbert, quant à lui, recommande d’opter pour la fermeture, car «tenter des reconversions de circonstance peut casser une réputation». Peut-être bien. Reste qu’ouvert ou pas, l’établissement est bien redevable des charges fixes.
S’agissant justement de la structure des produits et des charges, plusieurs points sont à souligner. La fixation de la marge d’abord. Chaque établissement agit selon ses propres règles : facturer les produits vendus 2,5 fois le prix d’achat hors taxe, 5 à 8% de marge …et il ne semble pas y avoir de formule qui fasse consensus.
Dans le même registre des produits, il est à noter que mis à part le chiffre d’affaires généré par la restauration, d’autres revenus peuvent être perçus. Une activité de traiteur peut générer une marge non négligeable, sans compter les retombées positives en termes de notoriété. Des redevances peuvent également être perçues sur de la publicité affichée au sein des locaux du restaurant. Enfin, des campagnes de promotion exclusives et ciblées sur certains produits peuvent être sources de retombées financières. Une part de 5% du chiffre d’affaires peut provenir tout au plus de ces extras.
Côté charges, les points de vigilance portent sur l’approvisionnement. Surstockage et insuffisance de marchandises sont gérés sur fond de contraintes de livraison ou de déperdition de denrées suite à des pannes occasionnelles de réfrigérateurs. Ajouté à cela les problèmes de vol…
Une solution pour s’en prémunir consiste à recourir aux systèmes de caisse électronique. Par la gestion intégrée qu’elles permettent en back office, ces solutions sont un bon moyen d’assurer un suivi des stocks sur la base des commandes en salle, des sorties de marchandise en fonction des ventes… Compter plus de 60 000 DH pour une solution complète.
Un autre poste concerne les charges de blanchissage, que l’on oublierait presque à tort : elles peuvent représenter jusqu’à 2% du chiffre d’affaires. Deux solutions sont envisageables : nettoyage en interne ou en externe. Néanmoins, recourir à un professionnel garantit un résultat satisfaisant et prémunit contre le vol.
Une rubrique qui n’a pas fini de donner du fil à retordre aux restaurateurs porte enfin sur les prélèvements fiscaux. «Pas moins de 18 taxes sont prélevées par le fisc !», se plaint un restaurateur. Pire, la plupart de ces taxes sont déclaratives. Un suivi en comptabilité s’impose donc pour éviter les redressements douloureux.
Gestion Risques administratifs et d’exploitation… les aléas dont il faut tenir compte
Les risques dans le métier de la restauration ne manquent pas. Le plus marqué demeure le risque administratif. Il est, par exemple, rattaché à la procédure d’octroi de la licence d’alcool. Il faut savoir que toute demande de commercialiser des boissons alcooliques est opérée en adressant une requête à la préfecture dont relève le projet d’investissement. Cette démarche amorce une enquête de police, des services d’hygiène, du ministère du tourisme, de la wilaya, suite à laquelle une commission est constituée. Il appartient à celle-ci de statuer sur la recevabilité de la demande. Une condition sine qua non pour obtenir l’autorisation précitée est d’être classé «établissement touristique». Or, c’est cette condition qui pose problème. «Les critères adoptés par la commission pèchent par subjectivisme», relate un restaurateur. «On en vient à un jugement à la tête du client», explicite-t-il. On rapporte même un manque de spécialisation parmi les fonctionnaires chargés du contrôle sanitaire. «Comment un diplômé d’école vétérinaire peut-il contrôler l’hygiène d’un établissement de restauration ?», s’interroge l’un d’eux. Pire encore, certains se disent parfois pris pour cible par de hauts fonctionnaires qui règlent leurs comptes avec eux par l’entremise d’inspections inopinées à répétition. Pour ce qui est de l’exploitation, l’éventail de risque est encore plus large et il peut aller d’une perte de stocks évaluée à plusieurs dizaines de milliers de DH à la suite d’une simple panne de réfrigérateur à un bouleversement de l’environnement immédiat d’un établissement donné. C’est notamment le cas de «A Ma Bretagne», à Casablanca, qui s’est trouvé du jour au lendemain encerclé par des projets qui «défigurent le littoral et font courir des risques aux clients», selon les dires même du propriétaire de cet établissement.
Procédures Les démarches pour obtenir la licence d’alcool
Les propriétaires de restaurants doivent obtenir une licence dite de deuxième catégorie, celle autorisant ces établissements à servir des boissons alcoolisées à titre accessoire (en accompagnement des repas). La demande de délivrance de cette licence doit être déposée auprès du directeur du Centre régional d’investissement (CRI) dont dépend le restaurant. Ce dernier se chargera de saisir le préfet de police, le chef de la sûreté, le chef de la sûreté régionale ou le commandant de la région de la gendarmerie royale compétent. Cette demande doit contenir, pour les personnes physiques, les nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, profession et domicile du requérant, et être accompagnée d’un extrait de la fiche anthropométrique et du casier judiciaire de l’intéressé. Pour les personnes morales, un exemplaire de leurs statuts datés, enregistrés et certifiés conformes doit être déposé. Dans tous les cas, il faut que la demande précise la catégorie de la licence demandée, l’emplacement précis, le plan et l’enseigne de l’établissement, et soit accompagnée d’une copie certifiée conforme du contrat de location et d’une attestation du bureau d’hygiène certifiant que le local remplit les conditions requises par la réglementation. La demande sera instruite par une commission régionale présidée par le wali de la région concernée ou son représentant, conformément aux dispositions législatives applicables en la matière, notamment l’arrêté n° 3-177-66 du 17 juillet 1967. Cette commission est composée du gouverneur de la province ou la préfecture concernée, le préfet de police ou le chef de la Sûreté, le délégué du ministère du tourisme concerné, un médecin chargé du contrôle d’hygiène et le commandant régional de la Protection civile. Après enquête de cette commission, notamment pour vérifier, entre autres, la classification du restaurant comme touristique et son éloignement des édifices religieux, le dossier est retransmis au directeur du CRI, assorti de l’avis de la commission, afin de permettre au wali de donner à la demande la suite qu’il convient. Enfin, la licence est accordée ou refusée par le directeur général de la Sûreté nationale. A noter que les licences d’alcool sont attribuées nominativement et ne peuvent être accordées aux personnes âgées de moins de 21 ans, à celles en état d’interdiction ou de faillite et aux individus condamnés pour crime?
Reda harmak & souhaïl nhaïli
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